Je tente tant bien que mal de m’extraire de ce bourbier dans lequel je suis englué depuis que j’ai rouvert les yeux. En vain. J’ai beau chercher à comprendre comment fonctionne cette masse molle et longiligne qui me sert désormais de corps, mais rien n’y fait. Plus j’ondule, et plus je m’enlise.
Après quelques minutes de lutte contre le sort, je profite d’un glissement de terrain pour me dépatouiller de ce traquenard, et trouve refuge sur un bloc plus solide. Incapable de me redresser, je reste à plat ventre.
Autour de moi d’autres parasites, plus aguerris, semblent s’accommoder de la situation sans trop de peine. Pire encore, ils s’en délectent et plongent tour à tour leurs petites frimousses de pique-assiette enjoués dans la merde tiède. Ils s’en empiffrent. J’ai la nausée.
Plus je vomis plus ils rient. Une mouche me butine maintenant le haut du dos, replongeant par là-même, ma tête dans la boue. Mes pattes sont courtes et faibles. Je ne peux pas lutter. Je la laisse faire en suffoquant.
Lorsque celle-ci daigne enfin m’octroyer un peu de répit, j’en profite pour me trainer maladroitement un peu plus loin. Ma démarche est hésitante, et les autres lombrics redoublent de moquerie. Ils me jètent des boulettes d’excréments dans la gueule pour m’humilier, et dans le tumulte ambiant, je fuis comme un souffre douleur dans une cour de récréation hostile.
Enfin, seul. Je me trouve maintenant sur un petit monticule isolé du côté ouest de l’étron. Je vomis à nouveau. L’odeur est insupportable, et je ne parviens toujours pas à me faire à ma nouvelle condition de mange merde. J’ai envie de chialer, mais j’en suis incapable. J’ai envie de crever, mais c’est déjà fait.
Au loin, j’entends une voix familière qui gronde. Celle de ma femme. Elle hurle après le chat en fin de vie car celui-ci perd de l’urine, et lui botte vigoureusement le cul en lui expliquant qu’elle n’est pas sa bonniche.
En levant la tête, je l’aperçois. Elle est immense, porte un tablier neuf, des gants de latex, et son regard haineux fixe le sol dans un coin du salon.
La paroi de la litière ne me permet pas d’en savoir plus. Je décide alors de me hisser un peu plus haut sur le tas de merde dans lequel j’ai malgré moi élu domicile sous prétexte de réincarnation douteuse, et j’aperçois mon corps sans vie, la tête trouée, gisant dans une mare de sang.
Et je comprends que cette connasse vient de me coller une balle dans la tronche.